Il marche d’un pas lent mais assuré, le buste en avant et la tête bien relevée comme pour montrer à tout le monde une confiance qui lui fait souvent défaut. Son teint un peu bronzé, ses cheveux noirs et sa barbe grisonnante donnent à imaginer un sudiste la quarantaine approchante. Quand on croise son regard, on y lit tout un roman, fantastique et dramatique, une véritable odyssée dans laquelle la tendresse d’un homme blessé se mêle à la souffrance d’un passé encore douloureux. Nicolas Charrier est un marseillais comme on se le représente, un homme du sud qui aime bourlinguer et voir du pays mais aussi un joueur de tennis fauteuil au style de jeu agressif et au sourire sympathique. Portrait de Nicolas, ou l’arc-en-ciel émotionnel.
Nicolas Charrier, ou Marseille dans le sang
Âgé de bientôt 40 ans, Nicolas Charrier a vécu plusieurs vies en l’espace d’une seule. Né à Marseille en 1981, il entretient une relation singulière, d’amour et de haine avec la cité phocéenne: « je l’aime souvent mais parfois, la déteste et je n’hésite pas à la quitter. Mais son pouvoir magique me fait revenir inlassablement« . Cette ville aux multiples facettes est le reflet parfait de Nicolas Charrier, sa sœur jumelle tant les similitudes sont nombreuses. Ainsi, malgré un passage par la capitale, Nicolas Charrier n’a jamais vraiment quitté cette région et celle-ci n’a jamais quitté son cœur.
La région PACA est donc la région dans laquelle il vit et s’entraîne au tennis fauteuil. Licencié à l’ASPTT tennis club de la Fourragère, Nicolas Charrier se donne les moyens d’atteindre ses ambitions. Sa structure d’entraînement se consolide et se renforce avec le temps et l’apprentissage de cette nouvelle vie professionnelle.
Un joueur de tennis fauteuil professionnel en évolution
Car s’il ne peut pas être considéré comme un “jeune”, il est encore un junior sur le circuit international de tennis fauteuil en terme d’expériences. Son premier tournoi international remonte à la fin d’année 2017 à Montfermeil (défaite au second tour). Il y fait l’apprentissage de ce sport, de ses exigences mais aussi des différences avec le tennis se pratiquant debout. Pendant une longue année, il écume les tournois français, de Toulouse à la Vendée en passant par Antibes, Cagnes-sur-Mer mais encore l’île de Ré, Nice et Orléans où il remporte de beaux matchs et fait l’expérience du haut-niveau (Menguy, Scheffers, Diamantis…). C’est en mai 2019 qu’il quitte pour la première fois la France et que son aventure prend un tournant plus professionnel en participant à un Future en Italie. Il enchaîne alors quatorze tournois internationaux en 7 mois ce qui lui permet d’intégrer le top 100 mondial à la fin de l’année 2019. Plus que prometteur pour quelqu’un qui débute mais pas encore suffisant pour le compétiteur qu’il est.
Entraîné depuis ses débuts par Aurélie Voisin, il s’est construit une vraie structure à la hauteur de ses ambitions. « Je fais 3 heures le jeudi après midi et deux heures le lundi après midi avec le collectif fauteuil du club. Le lundi soir je peux intégrer l’équipe 1 fille du club valide. Un peu de douceur dans ce monde de brutes », raconte t-il, un brin malicieux. De la malice, un brin de tendresse et de douceur qu’il faut réussir à percevoir quand on ne connaît pas bien le gars aux épaules larges et à la carrure imposante.
Depuis maintenant quelques mois, il s’est attaché les services d’Hervé Tassaro, coach reconnu sur le circuit de tennis fauteuil et sélectionneur de l’Équipe de France féminine : « nous abordons tout ce qui est nécessaire au développement technique, tactique et physique de la discipline ». Il a encore beaucoup de travail, notamment sur la gestion du fauteuil et de ses déplacements. La difficulté est qu’en dehors du tennis, il ne vit pas dans un fauteuil et n’a donc pas les repères et l’expérience d’une personne qui en utilise un en permanence. Il développe : « le plus dur pour moi est de mettre la bonne énergie au moment de la poussée du fauteuil pour garder le relâchement nécessaire au moment de la frappe. Les ajustements sont également souvent difficiles à faire ». Le discours du concerné est clair et son chemin vers le progrès semble tracé : « Après, nous mettrons en place des schémas tactiques et des fondamentaux pour les matchs. J’ai tendance à trop cogiter pendant et entre les points ». Avec Tassaro, ils souhaitent donc instaurer de la rigueur et de la discipline dans son jeu sans toutefois perdre son identité de joueur, « fantasque et imprévisible ». Tout un programme !
Nicolas Charrier, ou la cocotte minute
Mais, de son propre aveu, la grande marge de progression se situe dans la gestion de ses émotions. Lui, le Marseillais au sang chaud et à la tchatche facile, perd encore trop vite ses moyens quand la situation semble lui échapper. Le terrain de tennis est le lieu parfait pour exacerber les tensions et révéler des personnalités sensibles. Injures, lancers de balle, cris de rage peuvent ponctuer les matchs de Nicolas Charrier lorsque ceux-ci ne tournent pas en sa faveur. « Je suis une véritable cocotte minute. Je dois impérativement trouver du calme pour pouvoir mettre en place mon jeu agressif. Dans les mauvais jours, le rêve peut vite tourner au cauchemar et cet aspect-là prend beaucoup de temps à travailler » détaille le joueur français avec toute sa franchise qu’on lui connaît, avant de conclure : « la gestion des émotions passe avant tout par la confiance en soi ». On touche là à tout le charme de ce personnage. D’apparence sûr de lui et à l’aise en public, Nicolas Charrier est en réalité un joueur de tennis, mais avant tout un homme, sensible, un brin tourmenté qui cherche encore sa confiance en lui.
« Je suis une véritable cocotte minute. Je dois impérativement trouver du calme pour pouvoir mettre en place mon jeu agressif.
Nicolas Charrier, lors de notre interview.
Il faut dire que la vie ne lui a pas réservé que des joies. Il n’était pas prédestiné à rêver des Jeux Paralympiques, ni même à s’entraîner des heures sur un court de tennis. Non. Ce qui l’animait, lui, c’était la restauration et ses journées à rallonge, ses horaires invivables et ses quelques clients regrettables. Comme toujours avec Nicolas Charrier, ce sont les émotions qui parlent en premier et qui dicte ses actes : « je suis tombé raide dingue du milieu de la restauration. A 18 ans, je suis allé à Paris pour y passer mon bac en vivant chez mon père. Après avoir raté mon bac à cause d’un surplus de soirées, mon père m’a fait bosser chez un pote à lui dans une brasserie parisienne (le café Vivienne). Une punition qui se révéla être une bénédiction… » Dès lors, naît une passion qui le verra devenir directeur d’établissement à 24 ans. Il vit alors à Paris, la ville ennemie, mais retrouve vite sa ville natale, celle qui le rend « fada », pour y vivre avec sa famille en 2009.
La reconstruction par le sport et les rêves
Un accident de moto causé par un chauffard, ivre et multirécidiviste, lui fauche sa jambe gauche et sa passion. Une lente phase de reconstruction s’entame. Lorsqu’il évoque cette période, il n’hésite pas à employer le champ lexical de la guerre: « cela a été une guerre psychologique pour moi mais aussi pour le reste de mes proches. Ce combat a laissé des marques indélébiles sur mon corps et dans mon âme ». Ces marques, elles ne sont pas encore totalement effacées. Dans son regard, on peut y lire les douleurs d’un homme à qui on a enlevé une partie de son âme et pour qui la reconstruction n’est pas encore achevée.
Le tennis fauteuil l’aide en grande partie, ses rêves aussi. Les Jeux Paralympiques de Paris, l’équipe de France, le top 30 mondial… Nicolas Charrier est un ambitieux et il aurait tort de s’en priver : « j’aime les challenges et je suis déterminé. Je ne me fixe aucune limite ». Mais il souhaite garder la tête sur les épaules et ne pas se laisser griser par ses objectifs : « Je désire déjà prendre du plaisir dans ma vie. Une ambition ne doit pas devenir une obsession. Je fais très attention à cela et ce n’est pas facile tant ce projet fait partie intégrante de ma vie ». Et l’après-tennis ? Le coaching lui plait, l’idée d’être grand-père aussi (qui ne rêverait pas d’un grand-père pareil ?).
Quoi qu’il en soit et quel que soit l’orientation que prendra sa vie, la passion, les émotions, mais aussi Marseille ne seront jamais bien loin chez cet homme terriblement attachant.